Caroline Constant Mardi, 22 Mars, 2016 L'Humanité
Cash Investigation : salariés à prix cassés. sue France 2, ce soir à 20 h 55 Cash Investigation se penche sur la situation scandaleuse des salariés européens détachés, surexploités et sous-payés au mépris de toutes les lois françaises et européennes.
On ne le dira jamais assez : l’arrivée de Cash Investigation dans le paysage médiatique n’en finit pas d‘être une bonne nouvelle. Aujourd’hui, Élise Lucet et ses acolytes dénoncent le phénomène des salariés dits détachés. Soit une réalité sociale qu’on connaît sans la connaître, hélas, dénoncée régulièrement par l’Humanité et l’Humanité Dimanche.
Un « salarié détaché », c’est un salarié européen qui va venir travailler sur un chantier français. Il est censé y être nourri et logé, et toucher un salaire. Ses cotisations sociales sont censées être payées à son pays d’origine. La directive, explique Cash Investigation, existe depuis 1996. Depuis, le nombre de ces salariés a explosé : ils seraient aujourd’hui 230 000 ; 230 000 salariés à vivre dans des conditions indignes, sous-payés, voire pas rémunérés du tout, y compris sur des chantiers d’État. Preuves à l’appui, témoignages face à la caméra, Élise Lucet et ses journalistes démontent, pied à pied, ce système d’esclavage moderne où les ouvriers, beaucoup employés par le BTP, font « des horaires de forçats », et dont les cotisations sociales ne sont pas payées. Autrement dit : ils espéraient trouver de quoi nourrir leurs familles, et quand ils finissent par rentrer chez eux, souvent après plusieurs d’années d’exploitation, leur situation sociale est explosive. Et ces hommes, puisqu’il s’agit beaucoup d’hommes, sont bien amers. D’autant que, pendant ce laps de temps, « l’obligation » d’être logés se résume bien souvent à des mobil-homes absolument pourris. Mais à qui profite cette exploitation ? Qui en tire les ficelles ? Entre les économies réalisées sur les salaires grâce à des montages ahurissants, celles réalisées sur le logement, et le non-paiement de ces cotisations sociales, certains s’en mettent plein les poches. Cash Investigation estime à 11,3 millions le manque à gagner pour l’État français. Élise Lucet épingle ainsi Atlanco, une « multinationale du détachement frauduleux ». Une société fantôme, qui part recruter à l’étranger, qui inonde l’intérim du BTP, mais aussi le secteur agroalimentaire et la métallurgie. Son créateur est un ancien joueur de hockey qui a ainsi amassé une fortune considérable en réduisant ses semblables quasiment en esclavage. La justice, ici et ailleurs, tente de coincer ce fameux Michael O’Shea sans jamais y parvenir. La boîte change de nom, exile ses sous dans des paradis fiscaux. Ne paie évidemment aucun des impôts auxquels elle est soumise. Mais pourquoi avoir recours à ces sociétés, alors ? Là aussi, Élise Lucet et ses enquêteurs montrent un je-m’en-foustime de la part des autorités complètement désarmant. Pour ne pas dire scandaleux et révoltant. Du chef d’un chantier qui construit un méthanier, au chantier de l’EPR de Flamanville, la première réponse est un étonnement feint. La seconde consiste à se protéger par un « je ne savais pas » ou « tout est normal ». Après deux exemples flagrants sur ces chantiers, l’enquête se mène du côté du transport routier. Transport routier complètement démantelé, en France, par l’entrée sur le marché de concurrents moins chers, beaucoup moins chers, et corvéables à merci. Encore une fois. Avec des conséquences en cascade : sur le droit du travail, les rémunérations, l’emploi en France dans le secteur… et le trafic routier.
En bref, on ressort essoré de colère après ces presque deux heures de diffusion. En rage. Mais avec le sentiment que si ce genre de situations était davantage connu, les citoyens pourraient aussi agir sur ce levier. Et faire en sorte que plus jamais on n’admette que sur un chantier, ou ailleurs, se côtoient des situations sociales aussi inadmissibles, que des gars puissent être laissés sans protection. Et que les méchants soient poursuivis, coûte que coûte, puisque désormais… on sait.
Un scandale, une main d'oeuvre ultra précaire moins chère travaillant plus, par nécessité... Un reportage à voir, une honte !