Arrivé en octobre, le nouveau patron de la Poste a lancé ce jeudi 3 avril les premières mesures concrètes de son "Plan stratégique 2020" baptisé "Conquérir l’avenir". Tandis que son rival allemand, Deutsche Post promettait hier monts et merveilles aux marchés financiers (rentabilité améliorée de 8% chaque année jusqu’en 2020), Philippe Wahl, lui, s’attache encore à éteindre l’incendie.
Hasard du calendrier, ce matin, Jean-Pierre Jouyet, le patron de la Caisse des Dépôts et Consignations, actionnaire à 26,2% de La Poste, annonçait qu’il dégradait de 300 millions d’euros la valorisation de cette participation. Tout en jurant qu’il croyait dur comme fer au plan de Philippe Wahl. Mais voilà. En attendant les résultats, le constat est sévère. Si le chiffre d’affaires du groupe français s’est maintenu en 2013 (22 milliards d’euros), la machine est grippée.
"Notre modèle diverge", constate, pudiquement, le PDG. C’est le résultat d’exploitation qui en témoigne : à 770 millions d’euros, il plonge de 42% (hors impact opportun du CICE). Et sa marge s’en ressent, à 3,5%, elle s’éloigne de plus en plus de l’insolente Deutsche Post (5,2%).
Le mot d'ordre : ra-tio-na-li-ser
Philippe Wahl se concentre aujourd’hui sur l’organisation. Avec 267.000 salariés, cela n’a rien de symbolique. Il en espère des synergies, des économies et des relais de croissance qui se traduiront, dès la fin du mois de juin, dans la trajectoire financière de La Poste 2014- 2020 qu’il présentera à son conseil d’administration. Désormais, La Poste s’organise autour de cinq pôles d’activités redimensionnés, avec un maître mot : ra-tio-na-liser ! C’est particulièrement vrai dans les deux branches malades du groupe : le courrier et l’enseigne, autrement dit le réseau de "bureaux de poste" et autres points de contact avec la clientèle.
L’activité historique de La Poste est en chute libre depuis 2008 (-6% de volume par an). Certes le courrier dégage encore des profits, mais de moins en moins. Et le CICE ne suffira pas longtemps à compenser la baisse de la rentabilité. Du coup, Philippe Wahl a décidé de le doter d’une activité en forte croissance, le petit colis domestique (ColiPoste) qui surfe sur l’explosion du e-commerce.
Ce faisant, outre les synergies espérées, la branche courrier gagne 14% de chiffre d’affaires (1,6 milliard d’euros) et, surtout, 21% de résultat d’exploitation (101 millions). De quoi voir venir, en attendant que la diversification tous azimuts du métier de facteur multi-casquettes donne de vrais fruits.
Miser davantage encore sur la Banque postale
L’autre poids-lourd du compte d’exploitation de La Poste, "l’enseigne" et ses 17.000 points de contact partout en France qui délivrent services postaux, crédits immobiliers et téléphonie mobile. Objectif : rentabiliser cette extraordinaire tuyauterie territoriale. Outre la montée en puissance des "Maisons de services au public" qui prévoit de regrouper l’action de l’Etat dans les territoires dans les bureaux de poste, Philippe Wahl veut opérer une petite révolution: "Le réseau sera à priorité bancaire."
Philippe Wahl, qui vient de la Banque postale, veut y insuffler la culture bancaire. La banque et l’enseigne, pourtant dans les mêmes murs, réalisaient jusqu’à présent leurs petites affaires chacune dans son coin. Désormais, les lignes hiérarchiques fusionnent. L’enseigne change d'ailleurs de nom. Elle devient "le réseau", plus raccord avec l’univers de la banque.
Dans les domaines en croissance, la Banque postale et le colis express, Philippe Wahl enfonce le clou. La Banque postale, d’où Philippe Wahl est issu, demeure pour lui le fer de lance du sauvetage du modèle de La Poste. Même si elle n’est pas encore à la hauteur des espoirs mis en elle pour compenser la chute du courrier, pour la première fois en 2013, ses résultats ont détrôné ceux du courrier historique! Un changement de paradigme qui permet d’accentuer le trait. Comme l’acquisition pour 115 millions d’euros de la Banque privée européenne qui rafle ainsi 60% du budget 2013 alloué à la croissance externe du groupe.
La Banque postale ambitionne aussi de se développer sur la clientèle des professionnels, qui ne pèsent encore que 50 millions d’euros de chiffre d’affaires aujourd’hui. L’objectif est d’atteindre 400 millions en 2020. En créant une Ecole Banque et Réseau en interne pour former 1.000 salariés aux techniques commerciales bancaires. L’objectif est d’améliorer la rentabilité de la banque de dix points d’ici 2020.
Devenir le leader européen du colis
Dans "l’express international" (Geopost), Philippe Wahl affiche aussi de grandes ambitions: "Nous pouvons devenir le leader européen du colis et dépasser DHL, la branche Express de Deutsche Post, assure-t-il. Le business de 4,4 milliards d’euros aujourd’hui (hors ColiPoste) croît à toute allure (+9%). En 2014, c’est bien cette branche qui doit bénéficier de la majorité des investissements de croissance externe, comme la banque en 2013. Mais pas question de racheter la batave TNT, le numéro deux en Europe, en grande difficulté financière : "Trop de doublons!"
Enfin, et pour se donner un peu d’air, Philippe Wahl a décidé de créer une business unit dédiée au numérique. Ces activités dispersées jusqu’ici à travers l’ensemble du groupe, sont aujourd’hui rassemblées autour d’un objectif chiffré élevé : un milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2018. Pour crédibiliser cette branche, Philippe Wahl la dote de deux atouts : DocaPost, la SSII maison, qui réalise déjà près de 500 millions d’euros de chiffres d’affaires. La Poste va également booster son fonds d’investissements, spécialisé dans les start-ups innovantes, XAnge, qui gère 360 millions d’euros de capitaux.
Reste à savoir ce que donneront, dans les comptes, ce premier train de mesures. Rendez-vous fin juin !